Francine Collet Poffet

Francine Collet Poffet vit à Vevey où elle développe une œuvre sur papier qui interroge sa perception du monde. Ses collages en relief et ses travaux ajourés témoignent de manière singulière de sa surdité atypique.

Francine nous parle du processus créatif de ses collages

 

 

 

 

 

 

 

« J’entends un mot sur deux, je ne perçois pas les déterminants des noms, les noms propres sont du charabia. Le flot des mots m’arrive avec ses blancs et ses trous. Les mots sont hachés, les syllabes ajourées, les voyelles en relief et les consommes sifflantes invisibles. Je dois inventer du sens entre ces pièces sonores sans queue ni tête, assembler des bouts de conversations qui tombent devant mes yeux à toute vitesse. Souvent je perds le fil de ces galimatias.
L’idée de transcrire visuellement mon vécu quotidien au milieu des conversations a mûri progressivement. J’ai commencé avec un livre d’occasion. Comme je comprends un mot sur deux, j’ai découpé un mot sur deux dans le texte et j’ai collé les mots enlevés dans les bords de la feuille. Avec d’autres livres, j’ai découpé les déterminants, puis les consonnes sifflantes, etc. Tout ce que je n’entendais pas. Ces trous et ces blancs formaient comme un puzzle aléatoire. Peu à peu j’ai expérimenté d’autres procédés, toujours en lien avec le papier et la matière des mots écrits. Creuser dans l’épaisseur des conversations et voir apparaître un ou plusieurs mots sans liens apparents. Empiler des couches de textes, avec un liseré ou une dentelle graphique. Effiler des lignes de mots. Le texte entrelacé perd sa signification initiale. Il devient un matériau brut. Le résultat donne envie de toucher, de passer le doigt dessus pour découvrir ce nouveau graphisme à la fois tactile et visuel. Ces mots qui s’entrechoquent, se juxtaposent deviennent une métaphore visuelle de ma perception des échanges entre les gens : des conversations en mille-feuille.

 

 

 

 

 

 

 

 

Les conversations en mille-feuille sont nées dans ce terreau expérimental

Avec Patricia Crelier, nous l’avons imaginé à quatre mains. Nous ne voulions pas écrire une succession d’anecdotes, ni succomber à une approche didactique ou pathétique. Nous avons opté pour le jeu. Ce livre permettrait au lecteur de vivre en quelque sorte le mode opératoire de Paula, la jeune femme sourde atypique, qui regorge de « trucs » pour comprendre le monde qui l’entoure, avec ses sons brouillés. Le lecteur voit d’abord une image singulière, insolite, qu’il ne comprend pas tout de suite. Derrière cette image, il découvre en double-page une représentation qui lui donne des clés et résout l’énigme de l’image.
Il me tenait aussi à cœur de tenter de faire ressentir une de formes de mon fonctionnement : ce va-et-vient permanent entre différentes informations visuelles, écrites ou graphiques qui sont autant de rébus ou d’indices. Le lecteur peut vivre ce mouvement d’allées et venues : il ouvre la page, la déploie puis la referme, la tourne, revient en arrière, repart plus loin et ainsi de suite. Ce faisant, il est possible qu’il vive une expérience différente, qui pourrait rejoindre la mienne au quotidien. »

 

 

 

 

 

 

Conversations en mille-feuille